mardi 26 avril 2016

La carte des Mendelssohn - Diane Meur


C'est un roman bien particulier, dense et riche, qui m'a transportée dans l'incroyable analyse généalogique de la famille Mendelssohn, famille dont on connaît peut-être plus particulièrement Félix, le célèbre compositeur allemand, auteur du Songe d'une nuit d'été. Mais il y aussi tous les autres... Un merveilleux sujet d'études pour Diane Meur qui décide d'en réaliser une véritable cartographie, nous apportant un éclairage incroyable sur cette dynastie. Quel tour de force de fouiller, chercher dans le passé, de revenir aux sources, d'aller sur les lieux de l'histoire... 
Le résultat ? Ce roman incroyablement documenté alternant chapitres généalogiques, mode opératoire de la réalisation de la carte, anecdotes et extraits du journal de l'auteure.

Je pense que pour en apprécier la lecture, il faut avant tout être curieux et s'intéresser à ce type de recherche que je trouve personnellement passionnant, tout comme m'intéressent énormément les époques, lieux et familles concernés. Je résumerai tout simplement ce livre par cet échange entre les deux fils de l'auteure par rapport à la carte :

Candide et circonspect, mon fils cadet reste à distance et pose la seule question à laquelle je n'ai pas envie de répondre :
"ça sert à quoi ?"
Son grand frère se récrie : ce n'est pas là pour servir à quelque chose, c'est intéressant, voilà tout.

... c'est intéressant, voilà tout... exactement ma perception de ce livre en particulier, et bien souvent, de la vie en général !
A noter également cette superbe anecdote des pages 436 à 438 sur la présence d'une soit-disant statue de Félix Mendelssohn ornant le pignon du toit de la maison de l'art allemand... La fin du roman est un véritable tourbillon révélant les dernières pièces manquantes du puzzle familial.

La carte des Mendelssohn - Diane Meur
Sabine Wespieser - 460 pages

vendredi 22 avril 2016

Toutes les femmes sont des Aliens - Olivia Rosenthal

Au début, on se demande sur quelle sorte d'OLNI (Objet Littéraire Non Identifié) on est tombé ! Olivia Rosenthal nous raconte effectivement, sur le ton de la conversation orale, voire de la badinerie, ce qui se passe dans les 4 volets de la saga Alien ! Mais où veut-elle bien en venir ? Après tout, on a qu'à regarder les films si l'on a envie d'en connaître l'histoire !

Mais au bout du compte, cette cocasserie littéraire est bien plus pertinente et intéressante qu'il n'y paraît : l'auteure, par une analyse précise du comportement du personnage Ripley, et de la bête Alien, fait un étonnement rapprochement avec la figure féminine, la maternité et les liens mère-fille (d'où le titre). En creusant bien, on se rend compte que son analyse n'est pas si farfelue qu'elle n'en a l'air. En gros, et pour résumer brièvement : la femme enfante, n bébé sort de son ventre, comme l'Alien sort du ventre de l'humain qu'elle a colonisé -1er épisode- (oui, je conçois que comparer la maternité à un méchant Alien qui sort du ventre est osé !). La femme protège ses petits, comme l'Alien laissera Ripley récupérer la petite Newt (qui est la représentation de sa propre fille défunte) afin de sauver ses oeufs du lance-flamme -2ème épisode- mais elle est également la mère de l'Alien qui l'a colonisée -épisode 3-, mais on peut également considérer Ripley comme la fille d'Alien -4ème épisode- ... Vous me suivez ? Bon, ceci n'est que ma propre et humble analyse, ai-je bien compris celle de l'auteure ou en ai-je fait ma propre interprétation farfelue ? Est-ce bien le message que souhaitait faire passer Olivia Rosenthal ? Toujours est-il que ce court ouvrage m'a offert un moment lecture très spécial grâce à son originalité littéraire. Surprise dès les premières lignes, j'ai rapidement beaucoup aimé ce style narratif peu commun, où comment on écrit un bouquin comme on raconterait un film à une copine !


Extraits pour vous donner un aperçu de la chose :

"[...] C'est tellement incroyable de contempler cette sorte d'énorme ouverture visqueuse, ils se penchent encore et encore, de plus en plus près, sont attaqués par quelque chose, et ce quelque chose se met sur le visage d'un des membres de l'équipage et lui obstrue entièrement le visage. [...] On ne le fait pas entrer dans le vaisseau-mère avec ce truc horrible qu'il porte sur la figure, cette espèce de crabe ou d'araignée géante ou de poulpe."

"[...] La scène fulgurante où l'homme enfante l'Alien, j'essaye de penser à autre chose, du coup de perds le fil, épisodes 1, 2, 3, 4, Sigourney Weaver, femme-soldat et unique héroïne de la saga, porte en elle le monstre, c'est son tour, si elle ne trouve pas rapidement un remède à son malheur, il va lui arriver la même chose qu'à son ami, celui du premier épisode qui a littéralement explosé, oui, l'homme malade, l'homme épileptique, le fou en état de crise s'ouvre par le milieu, son thorax se fend et en sort la bête, pas la même, pas le crabe-poulpe posé sur son visage mais un autre, avec une petite tête gluante et de grandes dents pointues qui déchire la poitrine du malheureux, se fraye un chemin entre ses viscères et court dans les espaces sinueux du vaisseau-mère..."

"[...] Toujours est-il que Sigourney survivante entre dans l'étui d'hibernation avec le chat survivant pour que le temps de son voyage ne la transforme pas en très vieille femme, pour que la durée ne la tue pas avant son retour sur Terre, pour qu'elle puisse peut-être retrouver d'autres humains à qui raconter son épouvantable histoire, fin de l'épisode 1."


A noter que cette "étude comparative" Femme/Alien ne constitue pas la seule analyse du livre. S'ensuivent, sur le même ton du "racontage", la perception de l'auteure sur Les oiseaux d'Hitchcock, Bambi et Le livre de la jungle de Walt Disney. Tout aussi truculent qu'Alien !


Toutes les femmes sont des Aliens, suivi de Les oiseaux reviennent et Bambi & Co
Collection Minimales/Verticales, Gallimard - 160 pages

mardi 19 avril 2016


La vie de Sartre en bande dessinée... où comment appréhender le maître de l'existentialisme de manière ludique ! Une BD qui retrace bien la vie du célèbre philosophe mais qui aurait tout aussi bien pu s'appeler "Sartre et Beauvoir" tant le Castor est omniprésent dans l'histoire ! En même temps, ce couple, ayant accepté les amours contingentes est si indissociable qu'on ne pouvait faire l'impasse sur la présence de Beauvoir dans cette bande dessinée ! Un petit regret cependant, l'histoire se termine trop tôt et fait l'impasse sur la fin de vie du célèbre écrivain... J'ai eu aussi beaucoup de mal avec la manière dont est représentée graphiquement Simone de Beauvoir, on a l'impression qu'elle est "vieille" du début à la fin de l'histoire, et je ne retrouve pas le visage qui était le sien jeune. A part ce détail graphique (d'ailleurs, elle n'est pas sensée être l'héroïne du présent ouvrage !) cette bande dessinée nous permet d'apprendre plein de choses sur Sartre, et notamment ses origines alsaciennes de Pfaffenhoffen (le village français comportant le plus grand nombre de "f"), à deux pas de chez moi, et descendant des célèbres Schweitzer.

lundi 18 avril 2016

La poupée de Kafka - Fabrice Colin



Abel Spieler, professeur d'allemand à la Sorbonne, a transmis sa passion pour Franz Kafka à sa fille Julie... A moins que celle-ci ne se passionne pour le célèbre écrivain pragois pour se rapprocher d'un père insaisissable et caractériel ? Toujours est-il qu'après avoir traversé une enfance cahotique entre ce père fantasque et une mère effacée qui finiront par se déchirer, Julie va se lancer sur la piste d'une énigme fascinante, celle des derniers écrits de Kafka qui auraient été une série de lettres écrites sous sa plume par une poupée perdue par sa jeune propriétaire. Kafka aurait en effet inventé ce subterfuge des lettres pour consoler une petite fille trouvée sur le banc d'un parc et inconsolable d'avoir égaré sa poupée... Légende ou réalité ? Et si ces lettres avaient réellement existé, où seraient-elles ? A Berlin, Julie va tenter de retrouver la trace de la petite fille en question qui, si elle est toujours en vie, est actuellement une très vieille dame. C'est ainsi qu'elle va rencontrer l'étonnante Else. Une amitié peu ordinaire va naître entre la jeune et la vieille dame. Mais quel est donc le secret d'Else ? A-t-elle réellement rencontré le grand écrivain ? Et à quel étrange jeu du chat et de la souris joue-t-elle ? Toute cette histoire trouvera son dénouement dans un chalet face au majestueux Mont-Blanc, dans un troublant huis-clos entre les trois personnages.

Un roman court mais passionnant qui nous emmène de Paris à Berlin, en passant par Prague et Chamonix sur les traces d'une histoire fascinante et amenée comme une enquête. Une lecture très agréable !


La poupée de Kafka - Fabrice Colin
Actes Sud - 260 pages

samedi 16 avril 2016

Les prépondérants - Hédi Kaddour


Au printemps 1922, une poignée d'Américains en provenance d'Hollywood, s'installe à Nahbès, ville imaginaire d'Afrique du Nord, pour y tourner une superproduction, Le guerrier des sables. L'installation durable de ces conquérants américains va quelque peu bouleverser la vie tranquille des prépondérants colons et des locaux arabes. Entre histoires d'amour, jalousies et autres conflits interculturels, le narrateur nous livre le quotidien d'un bel échantillonnage de ces personnages et nous emmène avec eux des sables du désert à Berlin en passant par le tourbillon parisien et la "bancale" Alsace de l'époque ! L'Europe des années 20 est alors sous tension mais la vie de nos protagonistes suit son cours malgré leurs extrêmes différences et parfois dissensions. Tous tentent de s'apprivoiser, s'adapter, s'aimer, se révolter ou se haïr dans un monde qui va bientôt basculer.

Hédi Kaddour a reçu pour ce roman, le prix des lecteurs Gallimard 2015 dont j'ai fait partie ! Je n'avais pas voté pour lui mais après la lecture de ce troisième roman de l'auteur, je reconnais qu'il était amplement mérité. Sa plume très littéraire nous transporte dans une fiction de haute-volée où l'imaginaire tutoie le réel !


Petit extrait que je me devais de souligner puisqu'il décrit la belle cathédrale de Strasbourg (je suis strasbourgeoise d'adoption) :
[...] "on va prendre la rue à gauche". Il avait laissé Raouf et les deux femmes passer devant lui et ce fut le même choc brutal, à quelques dizaines de pas devant eux, fermant la rue qu'ils venaient d'emprunter, cent quarante mètres de cathédrale lancés vers le ciel sombre, avec des flocons qui tombaient sur les cils quand on regardait, l'énorme portail, les deux tours, la flèche à gauche, les pierres roses et la neige qui dansait dans les appels d'air le long de la façade, à la lumière d'un projecteur, Raouf était bouche bée. "Aspiré vers le haut ? avait demandé Ganthier. - Magnifique, avit dit Raouf, et purement esthétique, comme vous. - Rien d'autre ? - Non, comme vous... enfin... comme vous aujourd'hui".


Et cette belle tirade sur la prépondérance :
[...]"C'est parce que les Français ils disent qu'ils ont la prépondérance - c'est quoi la prépondérance ? - c'est quand tu prépondères - qu'est-ce que ça veut dire ? - c'est quand tu as les mitrailleuses et les Sénégalais - les Français ils disent tu es prépondérant quand tu es plus civilisé - plus civilisé ? Le poulet, chez eux, comme des cochons ils le bouffent - et les tueurs, avec les beaux habits, ils sont prépondérants aussi ? - Kathryn dit que le noble il vient de dire qu'il tue ceux qui sont pas civilisés - André il est pas civilisé ? - yahyia André ! - prépondérant les Français ils disent que c'est quand tu es en avance - alors les Américains il prépondèrent les Français ? - André aussi il est devenu très fort avec l'épée, tous les jours il tue un ou deux riches - bientôt il reste plus que les pauvres"



Les prépondérants - Hédi Kaddour
Gallimard - 460 pages

lundi 4 avril 2016

Cahiers de jeunesse (1926-1930) - Simone de Beauvoir



Ces cahiers de jeunesse couvrant 5 des jeunes années (18 à 22 ans) de Simone de Beauvoir sont en quelque sorte le journal intime de celle qui deviendra le Castor de Sartre et la célèbre auteure du Deuxième Sexe. Un journal qui nous apprend beaucoup sur la volonté de Simone de Beauvoir de s'épanouir amoureusement et intellectuellement. Sa soif d'apprendre et son appétit de connaissances la poussent à étudier comme une acharnée, à se nourrir de culture, de littérature, de musique, d'art, mais aussi de sciences et mathématiques. Elle va d'ailleurs "se chercher" durant quelques mois, chercher comment développer sa personnalité, chercher ce qui pourrait rendre sa vie passionnante. Elle finira, à la faveur d'un été, par décider d'écrire et d'apprendre, cet instant, elle l'appellera "sa naissance". L'aspect étonnant de ses souvenirs, lorsque l'on sait la féministe qu'elle est devenue, concerne l'amour entier et dévoué qu'elle vouait à son cousin Jacques. La jeune Simone de 17 ans et des quelques années suivantes, était persuadée qu'elle allait épouser ce cousin tant aimé, fonder une famille et avoir des enfants ! L'on en apprend également beaucoup sur sa découverte de l'amitié, et notamment sur l'amitié masculine, celle qu'elle développera notamment avec Merleau-Ponty. Et puis sa rencontre avec Sartre... Ces mémoires nous montrent également qu'à à peine 18 ans, cette jeune fille avait déjà une très haute estime d'elle-même, ce qui peut lui donner un petit côté insupportable et met en lumière un manque d'humilité... à moins qu'à l'inverse, cela ne soit une manière de masquer ses doutes ? En tout cas, elle analyse et décortique tout avec une acuité et une pertinence hors du commun.
Un très complet, beau et extraordinaire document sur les jeunes années d'une grande figure de la littérature et de la philosophie française, que nous devons à sa fille adoptive, Sylvie le Bon de Beauvoir qui a fait publier ces cahiers.


Extrait écrit alors qu'elle avait à peine 18 ans :

"Je suis trop intelligente, trop exigeante et trop riche pour que personne puisse se charger de moi entièrement. Personne ne me connaît ni ne m'aime tout entière. Je n'ai que moi.
Il ne faut pas que j'essaie de tromper cette solitude en renonçant à ce que je peux seule porter. Il faut que je vive, sachant que personne ne m'aidera à vivre. Ma force, c'est que je m'estime aussi haut que n'importe quel autrui ; je peux bien envier à l'un ou l'autre telle qualité ; de personne la valeur ne me semble dépasser la mienne : je possède autant. Seule je vivrai, forte de ce que je sais être."


Cahiers de jeunesse (1926-1930) - Simone de Beauvoir
Gallimard - 845 pages